« C’est l’émotion qui m’amène à peindre »
Encouragé par ses professeurs d’école primaire et de collège pour ses talents artistiques, Jacques Savoy prend conscience que la peinture peut être un support à son expression personnelle.
Il se consacre cependant à la médecine (pneumologie), à la recherche et à l’enseignement, tandis que le versant artistique doit patienter.
Il garde toujours un bloc à croquis dans sa mallette !
Carrière accomplie, il se consacre plus longuement à la peinture. La lente réalisation d’un tableau, étape par étape, lui apporte le même sentiment de plénitude que la réflexion scientifique. Avec un supplément d’âme…
Un paysage qui le touche, une image qui l’inspire peuvent susciter un tableau. Mélangeant compétence technique et instinct, il essaie, recommence. Crayon, fusain, aquarelle… le support varie en fonction de l’émotion. Il dévoile alors un univers humble, simple et poétique.
Un ami lui suggère un jour d’exposer. Il résiste, hésite, brave enfin ses doutes pour le plaisir de partager.

Son atelier, installé dans l’écurie d’une ancienne ferme !

Présentation de Marc-André Kubski
Vernissage du 15 juin 2024
Confucius disait que la façade d’une maison appartient non pas à celui qui possède la maison mais aux passants qui la regardent.
J’aime bien une tradition qui avait cours à une certaine époque en Chine : le peintre peignait un paysage, écrivait un poème à l’encre noire et signait en apposant son sceau en encre rouge. L’acquéreur pouvait à son tour, dans l’espace laissé vide, écrire également un poème et mettre lui aussi son sceau, tout en prenant soin, de laisser un espace libre, pour que quelqu’un d’autre puisse par la suite écrire aussi un poème. Le tableau va donc vivre sa propre vie.
De même, chez nous, une peinture, lorsqu’elle est exposée, n’appartient déjà plus vraiment au peintre mais à celui qui la regarde ; lorsqu’on regarde vraiment un tableau, lorsqu’on s’en imprègne, ce tableau va enrichir, changer notre vision des choses, il va dans un sens nous appartenir dans le même temps qu’il nous modifie.
Lorsqu’on regarde une peinture, on tente de percer l’histoire que le peintre veut raconter, mais on peut aussi se raconter sa propre histoire, on peut l’interpréter et ce d’autant plus si le peintre n’a pas mis de titre ou que le titre est très vague. C’est ce que je vais faire aujourd’hui ; mes commentaires sont complètement subjectifs. C’est pour cette raison que je ne donnerai pas, ensuite, la parole à Jacques ; je le connais, il ne sera pas du tout d’accord avec ce que je vais dire et il voudra corriger. Je ne vais pas le laisser faire.
Jacques est un médecin pneumologue à la retraite ; pneumologue vient de pneuma qui veut dire vent, souffle ou esprit, et on va essayer de trouver l’esprit qui guide sa peinture ; avec la retraite, il a complètement tourné le dos à la médecine ; malgré tout, dans la peinture, il est rattrapé par son passé :
il y a la rigueur du médecin qui commence par faire des croquis, puis des aquarelles pour finalement procéder à la peinture à l’huile. Cela parait donc très méthodique et réfléchi. Et pourtant, quand je lui ai demandé des explications sur ses peintures, il ne m’en a donné quasiment aucune. Il n’était, en fait, pas vraiment capable de le faire, et cela m’a fait plaisir, cela veut dire que les choses ne passent plus par les mots et le rationnel, mais par un autre canal, par le ressenti, par les émotions, par les sensations.
Jacques était aussi enseignant ; il a enseigné à l’université comme à ses collègues mais aussi au grand public ; je lui faisais alors souvent le reproche de montrer des clichés très compliqués, mais il ne pouvait pas faire autrement, car la réalité est complexe et il avait l’impression de trahir la science s’il devait la simplifier.
Alors, je trouve très drôle et ironique que dans la peinture, il parcourt un chemin inverse : il va de plus en plus vers la simplification, il cherche à enlever tout ce qui peut encombrer, il tend presque vers une peinture minimaliste.

Ferme selon Vincent
Jacques était déjà très intéressé par la peinture comme collégien et il était poussé à continuer par son professeur, le peintre Charles Cottet, qui, entre parenthèse, a fait beaucoup de peinture abstraite ; Il a aussi été très sensible à un autre peintre de nos contrées, Armand Niquille.
Finalement, Jacques a choisi la médecine mais a continué à peindre, toujours en autodidacte, et il ne partait jamais en voyage sans son carnet de croquis. Il s’est imprégné par la suite de peintres comme Vincent Van Gogh – il y a ici des tableaux dont il a choisi le thème – il s’est imprégné aussi des grands espaces de Nicolas de Staël, et de l’approche méditative de Marc Rothko pour qui la contemplation d’un tableau consiste en une interaction entre deux personnes, d’une rencontre, … entre l’artiste et le regardeur.
Et Rothko de poser aussi la question : Quand nous regardons une peinture, qu’est-ce que nous pouvons apprendre sur nous-même ?
Lorsque j’ai demandé à Jacques s’il y avait des sujets tabous dans sa peinture, il a hésité un instant, il flairait le piège. Il m’a répondu que non, qu’il n’y avait pas de sujet tabou. Je ne sais pas à quoi vous êtes en train de penser en cet instant ? Eh bien ce n’est certainement pas ce à quoi je pensais ; j’ai précisé ma question, et les sujets religieux ? Il m’a répondu que non, et que d’ailleurs comme collégien, il avait peint un Christ à la façon de Rouault qu’il admirait beaucoup ; sous-entendu, il n’a plus peint de sujets religieux depuis lors ; vous ne verrez donc pas de sujets religieux dans cette exposition. Ou vraiment ?

Ladakh
La beauté des montagnes, la brume, les yacks. La beauté, la désolation de ces immenses espaces inhabités, et la vie ; la vie peut-elle peupler un paysage si désolé ? les yacks placés à espace régulier, comme le rythme d’un chant qui monte et qui va essayer de remplir de vie et d’harmonie tout cet espace et qui va réconforter le passant. C’est le mystère de l’art, vous n’êtes plus ici, vous êtes transporté ailleurs, vous êtes dans un endroit où vous n’avez jamais été.

La ferme des grands-parents
C’est une ferme où l’on a fait peu à peu des rajouts, ce qui en fait un bâtiment cossu, solide, rien ne peut lui arriver, tout est harmonieux et tout est à sa place. Il fait bon vivre ; on y mange la cuchaule, la moutarde et le menu de bénichon au complet. C’est un tableau en partie figuratif, mais la ferme semble placée sur un paysage qui paraît imaginaire. En particulier, on peut noter qu’il n’y a pas d’ombres. Est-ce pour se désencombrer de tout ce qui n’est pas vraiment indispensable ou bien, est-ce un indice qu’il s’agit d’un monde imaginaire, d’un paysage intérieur ?

Les fermes jumelles
Entre ciel et terre, ces deux fermes jumelles existent bel et bien, elles sont bien réelles, mais elles sont aussi imaginaires et placées dans un monde poétique et calme, c’est lent et méditatif, mais aussi chaleureux et optimiste. C’est l’éloge de la décélération. Une paix qui règne entre soi et les autres comme entre soi et soi-même.

Village (selon Vincent)
Ici, Jacques fait un pas de côté, prend un chemin de traverse pour explorer un autre monde ; ce tableau est une appropriation d’un sujet de Vincent Van Gogh, une réinterprétation selon sa propre esthétique d’un sujet de ce peintre. Comme particularité, nous ne voyons qu’un fragment de paysage, un fragment de vie ; les maisons rentrent et sortent du tableau. L’artiste montre comment les courbes, au lieu de droites, peuvent être séductrices, sensuelles, amusantes ; peut-être bien que l’on s’éloigne de ce qui fait pour Jacques l’essentiel, mais c’est comme un complément d’âme pour égayer le cœur.

Alpage
Ici, on peut chercher s’il y a les 7 ingrédients nécessaires pour faire un tableau, selon la recette de Rothko :
- il y a d’abord la préoccupation, essentielle, avec le tragique, représenté avec 1 bande noire et un autre bleu très foncé
- le deuxième ingrédient est le plaisir, que l’on voit avec la ferme et la bande jaune, presque jubilatoire
- il faut un 3e ingrédient, c’est la tension, qui est générée ici par la confrontation du jaune et du noir
- il faut de l’ironie, exprimée ici par cette très longue ferme, ce toit qui n’en finit pas
- il y a l’esprit et le jeu
- il y a l’éphémère et la chance
- et il y a finalement, le dernier ingrédient, l’espoir, exprimé par ces bandes blanche, jaune, verte, bleue, pour rendre le concept tragique plus supportable

Abstrait
Ici c’est le pur plaisir d’exprimer un état d’esprit libre et dynamique, c’est un instantané de vie comme un de ces moments de grâce ou l’on se sent très heureux, un moment de bonheur intense mais très fugace.
L’abstrait représente pour Jacques la liberté, oublier la ligne et mettre en avant la couleur, montrer ainsi uniquement l’essentiel.
L’intellect n’intervient pas ; il n’y a pas eu construction par un dessin préalable, c’est le moment instantané où le pinceau va tout seul et exprime l’état intérieur en toute liberté.
Comme disait Christopher Rothko sur son père, l’abstraction est le langage le plus universel, celui qui touche le plus profondément le point le plus primitif, la corde la plus sensible de l’être humain.

Bleu indigo et centre jaune
Quand on analyse une radiographie, on est toujours très attentif à ne pas sur interpréter les images ; ici je vais complètement me lâcher et non seulement interpréter mais sur interpréter ce que je vois.
La couleur complémentaire du bleu indigo est le jaune orangé ; on pourrait donc dire simplement, qu’il s’agit quasiment de couleurs complémentaires et que cela reflète une harmonie dynamique d’autant plus que le tableau est dans le sens vertical et on pourrait s’arrêter là.
Ou bien on pourrait dire que c’est une fenêtre avec un intérieur un peu sombre et qu’il y a dehors une lumière intense, c’est une invitation à sortir et voir la beauté extérieure.
Ou bien on peut voir le bleu indigo comme une image nostalgique de toute une vie exprimée par les couches successives de l’aquarelle , comme les strates de l’existence ; mais, il y a au centre, une couleur jaune et un jaune pas transparent mais couvrant, un jaune qui a de l’épaisseur et qui attire l’œil par le contraste marqué avec le bleu indigo ; donc il y a un bleu indigo nostalgique de la vie passée et une porte ouvrant sur quelque chose de complètement différent, la promesse d’ une vie nouvelle.
Ou encore on pourrait dire que ce bleu indigo est le reflet non pas de notre vie passée mais de toute notre personne et tout au fond, si l’on a une vie intérieure, on peut découvrir, ce que le psychiatre Carl Gustav Jung appelait le numen, ou l’image de la Divinité en nous. Donc, pour moi, on a ici, un sujet qui est peut-être religieux ou transcendantal et j’ai un faible pour cette dernière interprétation.

Vent sur la prairie
Très belle harmonie entre un bleu et un bleu-vert, comme un paysage qui invite à la contemplation, faire le vide en soi et admirer. Faire le vide en soi, pour accueillir la beauté. Ne peindre que l’essentiel. On rejoint ici le peintre Rothko. Il faudrait suivre sa recommandation, et admirer cette œuvre à une distance de 18 pouces.
Dans une interview, Rothko avait dit : « Une peinture vit par l’amitié, en se dilatant et en se ranimant dans les yeux de l’observateur sensible. Elle meurt pareillement. Par conséquent, c’est un acte dur et risqué que de l’envoyer de par le monde. »
Revue Beaux-Arts. Fondation Louis Vuitton 2023 Mark Rothko p 40
Voilà, j’ai écrit quelques poèmes en calligraphie chinoise sur quelques peintures de Jacques, j’ai mis mon sceau en encre rouge, mais j’ai laissé de la place, pour que maintenant vous, vous fassiez de même.